En France, plus de 90 000 personnes vivent avec une insuffisance rénale chronique terminale. Près de 50 000 dépendent de la dialyse pour survivre. Trois à quatre fois par semaine, elles doivent se rendre dans un centre spécialisé, y rester entre trois et cinq heures, et se brancher à une machine qui filtre leur sang, rôle que leurs reins ne peuvent plus assurer. Ce protocole vital, mais contraignant, rythme leur existence, entre déplacements incessants, fatigue chronique et vie sociale bouleversée.
« Ça me change la vie », raconte Noémia au Parisien. Avant de pouvoir se soigner chez elle, elle passait deux soirs par semaine à l’hôpital de Beauvais, de 18 à 22 heures. « Désormais, je peux faire ça dans mon canapé, avec mon mari. C’est un vrai confort de vie. » Ses poches de dialyse lui sont livrées à domicile. Son témoignage illustre un changement en marche : la dialyse sort progressivement des hôpitaux pour entrer dans les foyers.
Un traitement vital, mais une vie sous contrainte

Derrière les chiffres se cache un enjeu immense. Une personne sur dix en France est touchée par une maladie rénale. Chaque année, plus de 10 000 nouveaux patients apprennent qu’ils devront être dialysés ou espérer une greffe. La transplantation reste le traitement le plus efficace, mais 56 % des malades n’y ont pas accès et doivent recourir à la dialyse.
Dans ce quotidien réglé, une autre voie progresse lentement : l’hémodialyse à domicile (HHD) ou la dialyse péritonéale. Plus souple, plus respectueuse du rythme du corps, elle offre la possibilité de rester chez soi, de caler les séances sur son emploi du temps et de retrouver une forme d’autonomie. Pourtant, seuls 7,1 % des patients français en bénéficient, soit deux fois moins que la moyenne des pays de l’OCDE. Le contraste est saisissant : en Suède, 25 % des malades sont soignés à domicile, 15 % en Australie, près de 10 % au Royaume-Uni.
Pourquoi un tel retard ? Les freins sont multiples : manque d’équipements adaptés, coûts initiaux élevés, formation lourde (entre quatre et huit semaines pour apprendre à réaliser les gestes techniques, notamment l’autoponction des fistules), logistique contraignante avec près de deux mètres cubes de matériel à stocker chez soi. Sans oublier la nécessité d’une coordination permanente entre centre hospitalier, néphrologues, infirmiers libéraux et aidants familiaux.
À cela s’ajoute un paradoxe économique. La dialyse à domicile coûte environ 50 000 € par patient et par an, contre 80 000 € en centre. Mais la tarification actuelle de l’Assurance maladie reste plus favorable aux séances en établissement, ce qui décourage les structures à promouvoir la pratique.
La promesse d’une liberté retrouvée

Pour les patients qui y accèdent, l’impact est considérable. Une séance à domicile dure deux à trois heures, mais elle est réalisée plus souvent : cinq à sept fois par semaine, contre trois longues séances en centre. Ce rythme imite davantage le fonctionnement naturel des reins. Les effets se ressentent immédiatement : moins de chutes de tension, moins de crampes, une récupération plus rapide. Le docteur Fessi, néphrologue à l’hôpital Tenon à Paris, précise à l’association France Santé : « En hémodialyse quotidienne à domicile, les patients éliminent chaque jour leurs toxines et l’excès d’eau, au lieu de les laisser s’accumuler durant deux ou trois jours. Cela réduit la fatigue quotidienne et le temps de récupération, qui passe en moyenne de huit heures en centre à une heure seulement. »
Ce protocole plus souple permet aussi d’alléger les contraintes alimentaires et médicamenteuses. Certains traitements lourds deviennent inutiles, et les apports hydriques ou salés sont plus faciles à gérer. Les études montrent que la HHD améliore la survie à long terme, limite les complications cardiovasculaires et permet une meilleure qualité de vie.
Mais au-delà des gains médicaux, c’est la vie sociale qui se libère : retrouver la possibilité de travailler, de voyager, d’aller chercher ses petits-enfants à l’école. Une liberté qui change tout.
Cette révolution silencieuse touche désormais aussi les enfants. En mars 2024, l’hôpital Robert-Debré (AP-HP) à Paris a lancé le premier programme français d’hémodialyse pédiatrique à domicile. Jusqu’alors, les jeunes patients passaient plusieurs jours par semaine à l’hôpital. Trois séances de quatre heures rythmaient leur vie, bouleversant leur scolarité, leurs activités sportives, artistiques ou simplement leurs moments d’enfance. Grâce à un dialyseur adapté et six semaines de formation, les familles peuvent désormais réaliser les séances à domicile, deux heures par jour, dans un environnement familier. La France devient ainsi l’un des rares pays européens à proposer une telle prise en charge pour les enfants.
Un modèle encore marginal, mais porteur d’avenir

Cette dynamique est aussi portée par des industriels et des associations. À Saint-Barthélemy-d’Anjou, l’entreprise Physidia, spécialiste français de l’hémodialyse de proximité, milite pour une généralisation de la pratique. Son moniteur S³ (Sécurité, Simplicité, Stérilité) est le premier système d’hémodialyse à domicile fabriqué en France. Transportable, facile à utiliser, il a été conçu pour permettre aux malades de reprendre une vie professionnelle et même de partir en vacances.
Les associations de patients, comme France Rein et France Assos Santé, rappellent quant à elles que le problème tient aussi à l’information : trop souvent, les malades découvrent la possibilité de la dialyse à domicile tardivement, voire jamais. Or, l’éducation thérapeutique devrait présenter cette option dès l’annonce de la maladie.
Mais un autre verrou reste crucial : le financement. Comment équiper massivement les patients sans alourdir les budgets hospitaliers ? Des modèles innovants émergent. Realease medical, filiale santé de Realease capital, société de location financière propose des formules de financement locatif incluant matériel, maintenance, consommables et mises à jour technologiques. Un modèle clé en main qui permet d’équiper les patients rapidement, sans immobiliser des sommes colossales. « Faciliter l’accès aux technologies médicales à domicile, c’est donner aux patients la possibilité de reprendre la main sur leur vie, tout en allégeant le système de santé », souligne Sabrina Schmitt Directrice Générale Déléguée, Responsable du marché Realease medical, spécialiste de la location financière d’équipements médicaux.
Avec le vieillissement de la population et la montée des maladies chroniques, la dialyse à domicile pourrait devenir incontournable. Mais sa diffusion dépendra de la levée des blocages financiers, de la simplification des formations et d’une meilleure information des malades. L’expérience l’atteste : lorsqu’elle est accessible, elle transforme radicalement le quotidien. Moins de fatigue, plus de liberté, et un système de santé désengorgé. Un triple bénéfice qu’il sera difficile d’ignorer encore longtemps.