Usine numérique : où en est la France ?


Usine numérique

Face à un déclin industriel en marche, l'idée d'une usine 4.0 plus flexible et performante fait son chemin. Mais l’usine numérique sera-t-elle forcément plus rentable? Permettra-t-elle d’éviter les sauvetages industriels de type Alstom? Usine numérique, usine connectée, usine high-tech : s'agit-il là de l’avenir de l’industrie et où en est la France dans la digitalisation de ses usines ?

Fermeture de Florange, sauvetage d'Alstom, surpression massive de postes chez PSA… L'actualité industrielle française des dernières années est loin d'afficher une santé de fer.  En France en 2015, seuls 146 nouveaux sites ont ouvert tandis que 190 usines ont fermé leurs portes. Une balance négative qui continue de creuser une situation de déclin industriel en particulier dans des bassins historiques de l'industrie (Nord-Pas-de-Calais, Champagne Ardenne) .

Site industriels français

Légende : « Les 100 premiers sites industriels français » © Usine Nouvelle 

Cette difficile conjoncture pose la question des modèles de production et de gestion de l'Industrie dans l'hexagone. À l'heure où les GAFA, ces géants d'internet, commencent à se pencher sur le secteur industriel et où les dirigeants européens étrennent le concept d’usine 4.0, qu'en est-il de l'usine numérique en France ? Peut-elle permettre d'accroître la productivité et de lutter contre le déclin industriel ?

Usine numérique en France : en retard par rapport à l'Allemagne

Le gouvernement français semble convaincu de l'importance de la digitalisation de l'industrie et a initié des démarches en ce sens. Au printemps 2015 a ainsi été officiellement lancé le plan industrie du futur. Faisant suite au plan « usine du Futur », ce vaste dispositif d'état s’appuie sur 5 piliers (cf ci-dessous)  et  affiche l'objectif « d’amener chaque entreprise à franchir un pas sur la voie de la modernisation de son outil industriel et de la transformation de son modèle économique par le numérique ».

Plan industrie du Futur © Ministère de l'économie et des Finances 

Mais où en est concrètement la France en ce qui concerne les usines numériques ? Pour Thierry Weill, professeur au centre d’économie industrielle des Mines ParisTech, spécialiste en conseil sur le management de l’innovation en entreprise, la France présente « une situation extrêmement contrastée » concernant la digitalisation de l'industrie :

« Certaines entreprises sont au meilleur niveau mondial. Je ne pense pas qu'Airbus soit beaucoup moins automatisée que Boeing par exemple. En moyenne toutefois, la France est plutôt en retard car globalement elle possède moins de robots et plutôt des robots plus anciens. »

Face à ce retard français, l'Allemagne, qui a opté pour un processus de robotisation dès la décennie 80-90 reste le meilleur élève de l'union européenne en termes de digitalisation industrielle. De plus, le pays a par la suite lancé en 2012 son « plan Industrie 4.0 pour l'usine du futur », un programme doté d’un financement public de 200 millions d’euros qui vise à digitaliser l'industrie en faisant entrer l'internet des objets et les TIC dans les équipements de production.

« L'Allemagne est certainement le pays le plus volontariste et le plus organisé avec le plan industrie 4.0 pour mettre au point ces technologies et les diffuser dans ses entreprises. Ce n'est pas le pays qui possède le plus de robots par employé, il y en a plus en Corée ou au Japon par exemple. Mais l'Allemagne prend les choses de manière très organisée pour transformer ses usines en profondeur et former ses ouvriers aux nouvelles technologies »rappelle Thierry Weil, également délégué général de la Fabrique de l'industrie, un Think tank dédié aux enjeux industriels et aux défis économiques.

Usine numérique en France : une véritable prise de conscience

Un véritable modèle pour les politiques de développement de l'usine numérique en France. Si le chemin est encore long pour réellement moderniser les outils de production, l'industrie française est toutefois en voie de transformation comme en témoignent les recherches de plus en plus précises menées par les spécialistes du secteur. 

L'Allemagne est certainement le pays le plus volontariste et le plus organisé avec le plan industrie 4.0 pour mettre au point ces technologies et les diffuser dans ses entreprises.

Thierry Weil, professeur au centre d’économie industrielle des Mines ParisTech

À l'automne dernier, le Boston Consulting Group, cabinet international de conseil en management et de stratégie en entreprise, a ainsi lancé son Innovation Center for Operations (ICO). Centre d'expérimentation destiné à accélérer la transformation de l'industrie française vers l'industrie 4.0, l'ICO dispose de lignes de production grandeur nature (la première par assemblage avec une ligne de scooters, la seconde par procédé avec une ligne de fabrication de bonbons).

Une structure d'étude permettant d'analyser très concrètement l'impact des nouvelles technologies  de production sur la performance des opérations : coût de production, productivité, consommation énergétique, etc. Pour Moundir Rachidi, Directeur du projet ICO au Boston Consulting Group (BCG), une « véritable prise de conscience » est en train de s'opérer autour de l'Industrie 4.0 de la part des industriels français :

« Beaucoup d’entreprises ont des expérimentations en cours sur le sujet. Cependant, il s’agit surtout de projets très opérationnels, qui sont souvent réalisés sans une vision stratégique, qui soit claire et partagée par toute l’entreprise. Concrètement, les opérateurs, sur le terrain, ont vite compris l’intérêt des mutations technologiques, mais l’intérêt du 4.0 n’a pas encore été entièrement saisi par les membres des comités de direction. »

Légende : L'industrie 4.0 : une opportunité à saisir

Pourtant l'intérêt économique de la digitalisation des processus industriels tend à être largement prouvé par les initiatives du secteur, comme en témoigne le directeur du projet de l'ICO :

 «  Le déploiement des nouvelles technologies dans une usine permet des gains de productivité de 15 à 30 % sur les coûts de production dans un délai de 6 à 12 mois, et un retour sur investissement de 12 à 18 mois. »

L'usine numérique serait donc, à terme, plus rentable. Thierry Weil, voit quant à lui la digitalisation de l'usine comme une condition nécessaire à la survie économique de l'Industrie. « Si nous n’investissons pas dans la modernisation de notre appareil de production, nous sommes alors condamnés à perdre nos parts de marché et à terme nos emplois » écrit ce dernier dans un article consacré à la robotisation de l'emploi.

Le robot tue-t-il l'emploi

Le robot tue-t-il l'emploi ? A lire sur le site The Converation.com 

Usine numérique : plus rentable car plus flexible

Pourquoi un constat aussi péremptoire ? Concrètement, en quoi l'usine 4.0 répond-elle mieux aux problématiques actuelles de l'Industrie française ? Selon les spécialistes, la réponse tient en une simple caractéristique de l'usine 4.0 : sa flexibilité.

« Depuis cinquante ans, les industriels misent sur les effets d’échelle, avec des usines toujours plus grandes, ultra-spécialisées. À l’inverse, les transformations de l’industrie 4.0 permettront de rendre les usines plus agiles. Dans ces usines plus flexibles, c’est l’humain qui sera au cœur de la décision. Il y aura certes moins d’employés par usine – nous prévoyons 15 % de ressources en moins par usine – mais il y aura davantage d’usines, plus petites » analyse Moundir Rachidi.

Même opinion chez Thierry Weil, qui illustre son point de vue avec l'exemple du sauvetage d'Alstom, opéré par l’État français : 

« Ce qui est paradoxal, c'est qu'Astolm prend des parts de marché sur certains produits, par exemple les métros ou le train alimenté par une pile à combustible, et en même temps, se retrouve avec des problèmes de charge sur d'autres lignes de produits comme les motrices de TGV produites sur le site de Belfort. L'usine du futur sera plus polyvalente. Elle passera plus facilement d'une production à l'autre. Les fluctuations du carnet de commandes seront plus faciles à gérer car les sites seront moins spécialisés. »

Le déploiement des nouvelles technologies dans une usine permet des gains de productivité de 15 à 30 % sur les coûts de production

Moundir Rachidi –du projet ICO au Boston Consulting Group (BCG)

Reste donc aux industriels à trouver les moyens d'atteindre cet idéal d'une usine numérique, performante et ultra flexible. Face à ce nouvel objectif de modernisation des outils de production, le remplacement du matériel industriel et son financement représenteront une étape incontournable. Sans être la seule à appréhender.

«  L'amélioration peut porter sur la qualité des machines et des équipements, mais pas uniquement. Il faut d’abord réaliser le bon diagnostic sur ce qui pose problème. Cela peut aussi viser l'organisation du travail, le niveau de formation des employés, voire même parfois l'ambiance et la qualité de vie au travail » poursuit Thierry Weil.

Usine 4.0 : matériel industriel et montée en qualification

En effet, si l'usine 4.0 s'avère une réponse pertinente aux difficultés de l'industrie actuelle, son rapport au matériel industriel et à l'évolution de ce dernier soulève de nombreux défis.

« Moderniser les usines représente un gros challenge puisque les opérateurs devront avoir des compétences pointues que tous n'ont pas aujourd'hui.  Il faut donc faire face à un problème de montée en qualification » avertit Thierry Weil.

L'accompagnement des employés reste ainsi un aspect fondamental de la modernisation de l'usine :

 « Pour réussir cette transition, un très gros effort de formation devra être fourni. À la fois initiale pour les gens qui arrivent sur le marché du travail et continue pour les gens qui y sont déjà mais dont la tâche va devenir plus compliquée » précise le spécialiste.

 Numérique et industrie : nouveaux métiers, nouvelles compétences – A lire sur le site de  La fabrique de L'industrie ».

La transition vers une usine numérique, cette « quatrième révolution industrielle » ne pourra ainsi s'opérer sans l'accompagnement de multiples spécialistes : professionnels du conseil comme l'ICO, chercheurs et analystes comme ceux de la Fabrique de l'Industrie, ou encore de partenaires gouvernementaux à travers du plan Industrie du Futur. À leur niveau également, les professionnels de la location évolutive de matériels industriels auront leur rôle à jouer en épaulant et en conseillant les industriels vers les solutions les plus adaptées. Ce n'est qu'en articulant les solutions et en impliquant plusieurs acteurs que les industriels français sauront faire face à ce grand enjeu de l'usine du futur. Un enjeu qui, comme le conclut Moundir Rachidi, se dispute bien aujourd'hui :

« Les économies matures sont au commencement de cette course à l’industrie 4.0, qui se joue véritablement en ce moment. La prochaine étape sera décisive pour notre pays, qui doit montrer qu’il est capable de développer à grande échelle cette vision stratégique »

 

Pour aller plus loin sur le sujet :

L’industrie du futur : une compétition mondiale, une étude de Thibaut Bidet-Mayer

Plan Industrie du Futur : transformer le modèle industriel par le numérique, dossier de presse du gouvernement

 L'innovation Center for Operation du Boston Consulting Group (BCG)

Matériels innovants, applications insolites : quels sont les nouveaux outils et usages qui vont révolutionner l'entreprise ?  sur le blog de REALEASE Capital.